Stahl House, Los Angeles – Californie

La Stahl House – ou Case Study House* n°22 – est une maison construite en 1959 par l’architecte californien Pierre Koenig pour Buck et Carlotta Stahl.

Symbole représentatif du rêve moderniste californien des années 50 et 60, la maison est l’une des icônes emblématiques de l’architecture moderne de Los Angeles. Elle est inspirée de la Bailey House (Case Study House* n°21 de Bel Air et du même architecte).
* Les Case Study Houses de John Entenza (rédacteur en chef de la revue d’architecture américaine Arts & Architecture) sont un programme regroupant 36 maisons expérimentales avant-gardiste. L’idée était que « les gens ne comprendraient pas vraiment l’architecture moderne à moins de la voir, et ils n’allaient pas la voir à moins qu’elle ne soit construite ». Le talent d’Entenza était de promulguer les idées que de nombreux architectes avaient à cette époque.
Stahl House est construite sur les collines d’Hollywood, en bordure de falaise, sur un terrain très accidenté. Elle surplombe Hollywood Boulevard et Sunset Boulevard de 300m et offre une vue panoramique exceptionnelle à 270° sur Los Angeles.

La construction dura 13 mois pour un coût de 37 500 dollars de l’époque.
D’une superficie de 200 m2, elle dispose d’une cuisine américaine, salle à manger et salon en enfilade, de deux chambres, deux salles de bains et d’une piscine. L’architecture intérieure et les meubles design sont de style mid-century modern, en vogue à l’époque.


Stahl House a été rendu célèbre par une photographie de Julius Shulman montrant deux femmes assises tranquillement dans un coin de la maison avec une vue panoramique sur la ville à la tombée du soir.
Elle est classée au Registre National des lieux historiques depuis 2013.
Aucune personnalité publique n’y a jamais vécu, elle ne fut pas non plus le lieu d’un scandale hollywoodien ou commandée par un riche héritier.
Elle était juste la maison de rêve d’un couple. Un rêve qui failli ne pas ne pas se réaliser…
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« Two dreamers, an architect, a photographer
and the making of America’s most famous house »
En 1953, un ami commun a présenté Clarence Stahl, mieux connu sous le nom de Buck, à Carlotta Gates. Ils se sont rencontrés au célèbre restaurant Mike Lyman’s Flight Deck qui surplombait les pistes de l’aéroport international de Los Angeles, près de Century Boulevard. Buck avait 41 ans et Carlotta 24 ans. Le couple s’est marié un an plus tard et est resté uni jusqu’à la mort de Buck en 2005.
Buck Stahl était joueur de football professionnel avant de devenir commercial pour Hughes Aircraft.
Hollywood connaissait un boom d’après-guerre alors qu’une nouvelle génération d’Américains, libérés des années de conflit mondial, s’installaient en Californie à la recherche du rêve américain. La population de la Californie passerait de dix millions en 1950 à plus de quinze millions en 1960.
C’était le moment de rêver grand !

En tant que jeune mariée, Carlotta a emménagé dans l’appartement que Buck louait au moment de leur union. Depuis leur petit logement, Buck et Carlotta avaient vue sur un promontoire qui attirait leur attention matin et soir.
Pendant des mois, ils regardèrent ce promontoire.
Un jour de mai 1954, pas tout à fait deux mois après le mariage, après avoir passé de longues heures à le contempler sans jamais avoir osé y mettre les pieds, le couple décide « Allons voir notre lot ». Ils sont montés dans la décapotable de Buck, se sont faufilés dans le dédale de routes étroites à flanc de colline et se sont arrêtés à ce qui deviendrait le fameux 1635 Woods Dr. Ils sont sortis de la voiture et ont eu leur première vue panoramique sur la ville.
Comment pourraient-ils ne pas tomber encore plus amoureux de cet endroit ? Comment serait-ce de vivre avec cette vue ?

La rêverie fut interrompue par le craquement de pneus sur la terre.
« Tout d’un coup, une voiture arrive », se souvient Carlotta. « Il s’avère que c’est le propriétaire du terrain, qui vivait à La Jolla, près de San Diego. » Par pur hasard, lui aussi avait fait un tour en voiture ce jour-là. L’homme s’est présenté sous le nom de George Beha et a déclaré que le terrain, composé de deux lots, était à vendre.
Beha espérait vendre les deux parcelles. Il leur a proposé les deux pour 25 000 $. Ce n’était alors rien d’autre qu’un simple terrain vague grossièrement nivelé mais Beha estimait que sa valeur résidait dans la vue qui ne pourrait jamais être entravée.

Cette somme était hors de portée pour les Stahl, qui ne pouvaient même pas se permettre le prix médian de 19 300 $ équivalent à une maison neuve de l’époque.
Peut-être pourraient-ils se permettre un lot et seulement avec une hypothèque.
Buck Stahl et George Beha ont alors négocié sur place et se sont serré la main après deux heures de discussion. L’affaire fut entendue sur le plus petit des deux terrains pour la somme de 13 500 $.
Beha assurant l’hypothèque, la construction ne pourrait démarrer que lorsqu’il serait entièrement payé. Buck a offert cent dollars en arrhes et les deux hommes ont conclu l’accord d’une poignée de main.
« J’ai l’impression que tout cela a été planifié par quelqu’un », a déclaré Carlotta. «Nous nous sommes simplement rendus là-bas un jour donné et lui aussi. Puis tout s’est enchaîné. »
La rencontre fortuite des Stahl avec Beha a brusquement fait de leur vision une réalité.
Buck et Carlotta esquissaient les plans de leur avenir : fêtes, gâteaux faits maison, enfants courant pieds nus en pyjama, nuits calmes sous une lune montante, lumières de la ville scintillantes en dessous. Ils imaginaient comment leur vie pourrait se dérouler sur ce modeste lopin de terre, petite encoche sur une colline hollywoodienne.
La réaction de leurs amis et familles ne se fît pas attendre : « Vous êtes fous ! »
Pourquoi quelqu’un achèterait-il un « morceau de terre » alors que le couple pouvait posséder une maison de trois chambres – plus le terrain sur lequel elle se trouvait – pour treize mille dollars ?
« Personne n’a compris ce que nous faisions », a déclaré Carlotta. « Nous avons décidé, nous n’allons pas discuter. Nous allons suivre notre chemin ».

Mais la construction était encore bien loin.
Le lot est resté vide pendant quatre longues années. Le temps pour Buck et Carlotta de s’acquitter des versements dus à Beha pour l’achat du terrain, chaque paiement étant écrit à la main au stylo à bille dans un registre de poche.
Buck a également passé « deux ans de week-ends » à améliorer le terrain afin qu’ils puissent un jour y construire une maison. Lui et Carlotta conduisaient dans Los Angeles à l’affut de gravas émis par les chantiers de construction environnants. « Elle et moi avions l’habitude de voir un bâtiment monter et des tas de béton concassé attendant d’être transportés », a déclaré Buck. « Nous leur demanderions, pouvons-nous avoir votre béton cassé ? ». Et ils le chargeaient dans le coffre de la Cadillac.
Ne pouvant par ailleurs pas se permettre de louer de l’équipement ou de la machinerie lourde, Buck a nivelé le terrain à la main. Il a utilisé ce qu’il avait : deux bras et un dos de quarante-deux ans renforcés par le sport et la marine. Un par un, il a disposé les morceaux dans des murs de soutènement, remplissant les fissures et les petits espaces avec du granit décomposé pelleté au flanc de la colline.
Leurs fréquentes visites sur le terrain ont intensifié leur désir de construire une maison de leur propre conception. Comme un architecte, Buck a étudié la composition et la forme du terrain, la direction de la lumière et la meilleure façon d’assurer les vues. La caractéristique principale de leur projet était un toit papillon combiné à un toit plat et dès le début, Buck et Carlotta ont imaginé une maison de verre, sans murs bloquant la vue panoramique.

Puis le couple s’est mis en quette d’un architecte. Trois sont venus sur le terrain. Deux l’ont déclaré inconstructible.
Mais lorsque Pierre Koenig a visité le site à son tour, Buck et lui « ont tout de suite cliqué », selon Carlotta. Les Stahl ont apprécié l’enthousiasme et la volonté de Koenig de travailler avec eux. Ils conclurent un accord en novembre 1957.
Le rêve des Stahl était sur le point de se concrétiser toutefois d’autres obstacles les attendaient. La conception non conventionnelle de la maison et sa construction à flanc de colline rendait difficile l’obtention d’un prêt immobilier traditionnel. Considéré comme trop risqué, les banques refusaient de financer le projet.
La Broadway Federal émis une condition inhabituelle au prêt à la construction : les Stahl devaient obtenir un deuxième prêt dans une autre banque pour la construction d’une piscine. Eux avaient en tête un jardin. Une piscine augmentait encore le coût de la construction. Mais pour la banque une piscine ajoutait de la valeur à la propriété et rendait le prêt moins risqué.
Buck trouva finalement les deux financements : 34 000 $ pour la maison et 3 800 $ pour la piscine.
La construction a commencé en mai 1959 et s’est achevée un an plus tard, en mai 1960.
C’est un appel du photographe d’architecture Julius Shulman qui propulsera la maison de l’anonymat à la lumière. Cet appel a conduit à la création de l’une des photographies glamours les plus emblématiques de Los Angeles. Prise le lundi 9 mai 1960, la photo donne l’impression d’être un samedi soir, projetant le plaisir et la vie dans une maison moderne.

Loin d’être anecdotique ce cliché engagera la famille Stahl dans de nouveaux travaux. En effet, la popularité nouvelle de la maison attire de nombreux badauds qui « s’invitent » pour la visiter. Pour le respect et le confort de leur vie privée familiale, seront donc ajoutés un portail et une porte d’entrée. Puis par la suite un mur d’enceinte en contrebas, les curieux n’hésitant pas à escalader l’abrupte colline pour accéder au lieu.
A sa retraite en 1978, le couple loue la maison à des fins commerciales. Le premier épisode de la série Columbo y sera tourné. Elle est depuis utilisée pour de nombreux tournages, campagnes publicitaires ou shooting de mode.
La famille n’a jamais considéré habiter une « maison musée ». Ils y menaient une vie ordinaire et ont adoré leur maison à laquelle ils restent très attachés.
La piscine occupant tout l’espace devant chacune des pièces, les trois enfants du couple apprirent à mettre leur gilet de sauvetage par-dessus leur pyjama dès leur réveil et furent rapidement tous de bons nageurs, sautant même dans la piscine depuis le toit plat.
La maison appartient toujours à la famille Stahl. Ils ont refusé plusieurs offres d’achat dont la plus élevée à 15 millions de dollars.
« To the Stahl family, it was just home.
To the rest of us, it always will be an L.A dream »


